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Maurice Dantec en Dante cyberpunk

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Par masochisme, sans doute, j’ai passé le week-end au Salon du Livre. Voici mes notes:


C’est quoi ce truc? On dirait un édicule dans le style minimaliste (tendance Judd ou Dubuisson). Une stèle? Je m’approche. C’est ce qui reste du groupe Hachette-Livres. Je lis: Fayard, Grasset, Pauvert… Tous les noms des victimes de la «pieuvre verte» y figurent. Un exemple pour Editis, l’an prochain. Trois hôtesses gardent la chose. Des jeunes Parques en somme.

Ici on prépare des cordons de sécurité. La foule va se jeter sur les stars. Guillon, Aznavour, Auster, Werber, Gavalda. Ce sont les valeurs sûres. Grâce à elles les éditeurs peuvent publier Reverdy, Pirotte, Cliff, Bost. Alors chapeau!

Je suis sur le stand des Inrockuptibles et feuillette leur numéro hors série sur les «nouvelles littératures françaises». Sans surprise. NDiaye, Carrère, Reinhardt, Enard, Houellebecq, Mréjen. Des incontournables. Des imbuvables aussi. Certains s’expriment. «…nos solitudes habitent le même monde globalisé». «…tenter d’ouvrir de nouvelles fenêtres, par lesquelles on n’avait pas forcément regardé.» «J’aime bien l’avenir, parce que je ne l’ai encore jamais vu.» Enorme coup de blues. Je m’éloigne.
OÙ EST PASSE DANTEC ?

C’est vrai. Il est absent de ce hors série. Tricard? Lui que j’ai comparé à Dante et qui vient de publier chez Albin Michel un roman à tout casser, Métacortex, on l’a totalement biffé, et partout. Je passe devant le stand du Centre National du Livre. Il affiche trente portraits avec ce slogan mortel: «30 ans, 30 auteurs». Et j’embarque sa brochure. Leur «conseiller littéraire», Thierry Guichard, s’est fendu d’une présentation: «Car il s’agit  bien de cela aussi dans cette littérature en mouvement: mieux saisir le monde, mieux s’y enfouir.» Bon, mais justement Dantec fait le contraire: il désenfouit à mort. Il annonce une terre plastifiée, un monde cramé.

Pour en savoir plus, je fonce vers le stand d’Albin Michel. On y célèbre le culte des gros vendeurs, Werber, Musso, Nothomb. L’attachée de presse papote avec Sabatier. Je l’aborde, lui raconte que j’ai parlé au téléphone avec Maurice (qui est resté au Canada) et que je ne comprends pas ce silence, ce rejet total, ce mépris, cette mise au ban d’une littérature française si souffreteuse en général. Elle n’en sait pas plus que moi. Que faire?

ET SI ON SE DONNAIT LA PEINE DE LIRE...
...on verrait que c’est sans doute son livre le plus achevé, la fin d’un cycle, l’équivalent littéraire d’une plongée en Enfer, placée sous l’invocation de Joseph de Maistre et de Saint Jean. Voyez Paul Verlande, le héros de Métacortex, agent de la Sûreté du Québec, il a l’air de sortir d’un roman de Spinrad ou de Dick, avec en plus une accoutumance au chaos démentielle.

Je continue à déambuler dans les allées. Partout, ça discutaille sur fond de bribes de musique. Je m’installe sur une chaise. On cause de «l’influence de la religion dans l’écriture». Filons. Ailleurs, ça débat pour savoir si les écrivains (Jauffray, Govrin), «jouent avec les conventions littéraires sciemment ou est-ce inné?» A question con, réponse…

A l’écart, entre le pavillon d’Israël et le stand marocain, j’avise un lieu presque fermé. Une affichette rédigée à la main; «Editions coquines.» Ça ne figure dans aucun programme. J’entre. Deux jeunes hommes me reçoivent avec empressement. Ils vendent des bandes dessinées et des cartes postales érotiques. De bons auteurs, comme Manara. Rien de porno. C’est vraiment «coquin». Alors? Ils m’expliquent que cet espace avait été réservé officiellement par le gouvernement algérien qui y a renoncé.

Je passe du côté où survivent les «petits» éditeurs. L’Arbre Vengeur propose des rééditions: La marraine du sel de Maurice Fourré, L’homme qui s’est retrouvé d’Henri Duvernois, Talent de Jacques Audiberti, Histoires désobligeantes de Léon Bloy. Chez Attila, qui a repris avec succès le Paris insolite de Jean-Paul Clébert, on me met l’eau à la bouche. Non seulement il annonce pour la rentrée une reprise d’un chef d’œuvre de Jacques Abeille, Les jardins statuaires, mais il a mis la main sur un de ces écrivains hors normes comme je les aime, Fabienne Yvert. Dans Télescopages, elle aurait poursuivi de 1997 à 2002 un
«étonnant travail d’écriture», notant sur des fiches recto/verso ses désirs, des bilans financiers, des recettes de cuisine, des «pensées animalières», des sommations et digressions. Allez, les Inrocks, encore un effort, c’est pour vous cette «drôle de bête littéraire».

(Mon carnet s’arrête. A force de coupes, offertes ici ou là, j’ai la vue brouillée, le stylo peu sûr, la main qui tremble.)

BONUS
Dans le métro, au cours de quatre longs voyages, j’ai eu le temps de
lire un livre formidable, vraiment, Tony Duvert, L’enfant silencieux, par Gilles Sebhan, chez Denoël. On a reparlé de Duvert, silencieux pendant vingt ans, en apprenant sa fin solitaire (son cadavre a été retrouvé le 20 août 2008 dans sa petite maison de Thoré-la-Rochette, un mois après sa mort).

Sebhan a comme murmuré son hommage qui n’est pas une biographie mais une façon empathique de nous interdire d’en dire trop. Je suis allé sur le stand de l’éditeur de Duvert, Minuit. Ses livres y étaient, ils y sont encore. Il faut donc, si ce Salon sertà quelque chose, ce sera au moins à cela, lire L’Ile atlantique, le Bon sexe illustré, Paysage de fantaisie ou Récidive.

• Raphaël Sorin •

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